Numéro spécial consacré aux Eaux de surface et sources en Pays Lyonnais.
Par une belle matinée d’été, un break s’éloignait du bourg de Chaussan et s’engageait au petit trot de son cheval sur la route sinueuse qui descend vers Mornant et son marché. Deux hommes, le curé, calé dans sa soutane, et son voisin paysan tenant les rênes, contemplaient d’un œil morne les prés jaunis et les feuilles pendantes des arbustes. « Ah ! le temps est sec, les récoltes seront maigres… mais à qui s’en prendre ? », déclara le curé, toujours prêt à défendre son apostolat. « Il y a de moins en moins de monde aux rogations ! Tenez, l’an passé, une poignée de personnes, et cette année, juste un paroissien ! Comment voulez-vous qu’il y ait de bonnes récoltes, dans ces conditions ? – Ah, monsieur le curé, rétorqua l’autre, mais il ne faut pas dire « les rogations ! ». Vous voulez parler de l’irrigation ? ».
Cette petite histoire villageoise nous conduit à nous demander si cette confusion est si ingénue qu’il paraît. Les rogations appellent sur les cultures une grâce qui est en principe celle de la pluie fertilisante. Avec l’évolution des techniques agricoles et des mentalités, toile de fond de notre historiette, l’irrigation assure des résultats plus garantis que la prière adressée au Dieu des champs et des récoltes. Et notre paysan, en fin de compte, semble plus fin que ne le laisse supposer le récit : aux hasards d’une invocation rituelle, il préfère la sûreté de la technique et le fait sentir avec doigté à son compagnon.
Nos deux Chaussanais nous ont donc introduits dans la thématique du présent numéro, plutôt par le biais du manque d’eau que par celui de son excès. Et de fait, mis à part les débordements de l’Yzeron, de la Brévenne ou de la Coise dans les basses vallées, l’eau est rare et précieuse en Pays Lyonnais, et les efforts humains consistent à la retenir pour irriguer – « arroser », disait-on jusqu’au milieu du XIXe siècle – les prés et les cultures au bon moment. Au fil des pages, le lecteur verra se succéder des procès pour l’alimentation en eau, des octrois d’abénévis, des partages de l’eau effectués devant notaire, des techniques oubliées de drainage et d’irrigation, des testaments, estimations, répartitions et calendriers si détaillés et pointilleux qu’il lui semblera peut-être découvrir un univers insoupçonné.
Rôle de l’eau : elle garantit non seulement, par sa bonne utilisation, récoltes et nourriture, mais elle travaille pour nous par son mouvement même. Citons une phrase de l’article « Si l’eau qui court… » de Marie-Thérèse Lorcin à propos du Garon au XVe siècle, « la rivière la plus méritante du Lyonnais », selon ses propres termes : « Ce cours d’eau long de 31 km irriguait alors 122 ha de terrain et faisant tourner 18 moulins et battoirs. » Le Garon, ouvrir, ami et bon génie qui ne ménage pas sa peine et ses dons !
Mais la matière est si abondante que le présent numéro menaçait de déborder. C’est pourquoi, pour parer à ce déluge, nous avons pensé à un exutoire, futur numéro « bis », où, parmi différents articles, on parlera des « retenues » ou « lacs collinaires », technique récente qui marque nos paysages, des boutasses anciennes, et de bien d’autres choses encore.
Ici comme ailleurs, l’eau est partout domestiquée. Et là où elle ne se prêtait pas à l’exploitation agricole, dans ce que l’on appelle aujourd’hui les « milieux humides », on l’a fait disparaître au fil du temps. Tant qu’on y a récolté roseaux et laîches pour les toits et la litière des bestiaux, leur utilité leur a permis de survivre, mais ils furent condamnés dès que les usages changèrent. Ils ne subsistent, mélancoliquement, que dans les noms de lieux : les Flaches, les Saignes, les Mouilles…
Quant aux sources, elles restent souvent mystérieuses. Il y a des résurgences, dont certaines viennent de très loin ! Il y a des sources thermales, exploitées depuis longtemps ou oubliées. Certaines font la fortune des alentours, d’autres, rêveuses, gardent l’écho d’époques brillantes, mais révolues.
Laissons maintenant le lecteur voguer en pensée sur ces petites surfaces liquides fluentes ou stagnantes, boutasses, serves, gouttes, béals et rases. Que ces quelques articles illustrent à ses yeux le lien à la fois vital et poétique entre les humains et l’eau.
Claude LONGRE
Résumés des articles de la revue
Si l’eau qui court...
Marie-Thérèse Lorcin
L’article traite de l’eau en Lyonnais à la fin du Moyen Âge. Il établit la nette différence dans l’hydrographie et l’utilisation de l’eau selon le relief et la situation. Comme tout n’est pas consigné dans les documents, on peut émettre des hypothèses, en particulier à propos des « boutasses » et des « serves ».
Aménagement des sources et des cours d’eau dans les Monts-d’Or aux XIVe et XVe siècles
Angèle Campone
Cette étude sur le réseau hydrographique médiéval des Monts-d’Or décrit les cours d’eau, prises d’eau, puits et moulins de ce petit massif calcaire, dont les problèmes d’irrigation sont différents de ceux du Pays Lyonnais, au sol imperméable. La reconstitution des cours d’eau disparus depuis le Moyen Âge à partir des documents anciens est d’un très grand intérêt.
L’assainissement des terres
Benoît Carteron - Pierre Grange - Claude Longre - Pierre Rivoire
Trois textes illustrent la préoccupation constante de l’agriculture des Monts : assainir les terres, souvent mal exposées. Sur ce terroir agricole imperméable, formé pour l’essentiel de zones pentues, on utilise traditionnellement diverses techniques pour drainer vers le bas (« la rivière ») l’eau qui imprègne plus ou moins le sol, selon les lieux.
Le partage de l’eau
GREHC (Craponne) - André Hernoud - Claude Longre - Jacques Rivoire
L’eau, essentielle pour l’irrigation des terres et des pâturages, est utilisée aussi pour les bêtes et pour l’artisanat. L’article présente des contrats, deux procès et l’estimation de biens agricoles avec répartition de l’irrigation. La préoccupation des usagers, des notaires et des hommes de loi est de parer aux conflits qui peuvent naître de l’utilisation partagée de l’eau.
Variations sur la boutasse
Rémi Cuisinier - Marie-Jeanne Faure- Antoine Françon - Claude Longre - Andrée Possety
Quatre textes évoquent la boutasse ou la serve familiale, avec sa fonction particulière et les souvenirs qui lui sont attachés. Autant de milieux, d’expériences et d’utilisations particulières, autant de vocabulaires différents.
Thermalisme : deux sources célèbres
Jean-Michel Arpi - Michel Calard - Louis Pangaud - Robert Putigny
Les articles concernant les sources thermales d’Orliénas et de Charbonnières-les-Bains sont écrits à partir d’extraits d’anciens numéros de L’Araire. La première source n’existe plus que dans les mémoires. La seconde, qui n’est plus exploitée aujourd’hui, est à l’origine d’une vie sociale et culturelle active sur deux communes contiguës.
Thermalisme dans le pays de L’Arbresle
Andrée Possety
Deux communes du canton de l’Arbresle ont connu un thermalisme important, dont l’un remonte à l’Antiquité. Divers documents sur les sources et leur exploitation, l’analyse chimique des eaux, le commerce et la publicité, l’essor et aussi le déclin du thermalisme et ses traces visibles dans l’architecture montrent le rôle important qu’ont joué les « eaux » dans l’histoire locale.
Thermalisme : les sources oubliées
GREHC (Craponne) - Andrée Possety
L’article présente deux sources ferrugineuses, dont l’eau est analogue de celle de Charbonnières. L’une a périclité, et son emplacement reste hypothétique ; l’autre n’a jamais été exploitée. Elles gardent ainsi leur part de mystère.
Chazelles et le barrage de la Gimond
Claude Longre
L’eau à Chazelles-sur-Lyon a une double importance : alimentation des 5000 habitants et de l’industrie chapelière, qui jusqu’au milieu du XXe siècle fait vivre l’essentiel de la population. La ville étant située sur un plateau, les besoins croissants en eau posent de graves problèmes, réglés par l’édification de la retenue de la Gimond.
L’étang du Val Maure à Saint-Genis-les Ollières
Fondation Renaud
Une source, résurgence des Monts du Forez, est captée pour l’aménagement d’un étang, dont l’article retrace l’histoire. Participant d’un projet de « parc nature, qui ceinturerait l’agglomération lyonnaise à l’ouest », il représente un lieu naturel où végétation et animaux ont toute leur place à proximité de la ville.
Petites histoires d’eau
André Hernoud
L’article traite des soucis d’une famille, demeurant au bord d’une grande route, à propos de l’alimentation en eau : procès, exactions féodales, conflits de voisinage, contrats d’entretien des fossés d’adduction rythment la vie des gens de l’époque, qui ne connaissent pas, comme aujourd’hui, la commodité de « tourner simplement un robinet ».
Les boutasses d’Yzeron - Du macrocosme au microcosme
Denis Bellot
Une promenade personnelle au milieu des boutasses, fonts, sources et ruisseaux d’un village du Lyonnais, Yzeron, dans les années 50. L’originalité du village et de ses environs est soulignée. Aux souvenirs et anecdotes se mêlent les observations de l’enfant, reprises par l’adulte, sur la vie biologique de ces milieux isolés.
Les boutasses à Sainte-Foy-lès-Lyon - L’eau du ciel et l’eau du sol
Jean Juillard
Le bourg de Sainte-Foy-lès-Lyon, situé au sommet d’une colline, utilisait l’eau qui s’écoulait des toits. Les habitants descendaient dans les boutasses ainsi alimentées pour remplir leurs arrosoirs. Les nombreux vignerons avaient recours aux mêmes techniques. C’est également la solution adoptée par le Fort de Sainte-Foy, élément de la ceinture fortifiée de Lyon, pour son approvisionnement en eau.
La pêche miraculeuse
Claude Longre
Dans cette « pêche miraculeuse » en patois de Duerne, la sécheresse,redoutée par les paysans, est paradoxalement cause de la noyade d’une jument et de la mort de son propriétaire. Ce fait divers tragique, rapporté avec humour, se termine par un mariage. Une brève analyse approfondit les thèmes du conte.
La mare Landru
Anonyme
Ce bref poème de cinq strophes, soigneusement composé de vers rimés de huit syllabes, est une mise en garde fantaisiste destinée aux enfants contre les dangers que représente l’eau. Le nom de la mare, rappel d’un criminel fameux, souligne le caractère maléfique qui lui est attribué.
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